Jean-Gabriel Périot – un cinéaste politique

 

Le montage si particulier de Jean Gabriel Périot nous amène à réaliser nous aussi un dossier original dans lequel vous trouverez plusieurs textes, évoquant les grands thèmes chers au cinéaste. Il faut déjà savoir que l’on aurait des difficultés à rencontrer un cinéaste plus généreux que Jean Gabriel Périot. Déjà par son accueil lors de notre rencontre, mais aussi par sa générosité envers son public. En effet, la quasi majorité des films de Jean Gabriel sont visibles sur son site internet.

 

Commençons par une introduction amenant quelques éléments biographiques du cinéaste…

Jean Gabriel Périot est né en 1974 à Bellac, dans le Limousin. Il savait depuis son enfance qu’il voulait faire du cinéma son métier. Il a suivi une formation à l’université en Information et Communication, puis une Maitrise Sciences et Techniques en Audiovisuel. Aujourd’hui, il dénigre un peu cette formation, qu’il trouve « ridicule ». pourtant, elle lui a permis de faire un stage au Centre Georges Pompidou pendant un an et demi, de part le temps libre que lui accordait cette formation. A Beaubourg, il a beaucoup appris, et s’est notamment formé dans le montage, puisqu’un de ces travaux, consistait à réaliser des petits films d’archives pour une grande exposition d’architecture. Il affirme que Beaubourg lui a donné un métier : monteur. Il a ensuite travaillé en tant que monteur dans différentes entreprises, il gagnait sa vie. Il a commencé à faire des films personnels plus tard, notamment au hasard des coïncidences et des rencontres.

Un des sujets principaux de son œuvre est sans conteste le rapport violent que l’individu entretien avec la société qui l’entoure. Il réalise une œuvre de réflexion autour de ce thème, en construisant des films souvent à partir d’archives préexistantes, qui lui appartiennent ou non. Il va beaucoup jouer avec les codes du montage traditionnel, créant son propre style de montage très rapide, associé à l’idée de manipulation des images.

 

Faire réfléchir le public sur des thèmes aussi divers que l’homosexualité, le corps et la politique

Jean-Gabriel Périot a commencé par faire des films, souvent en réponse à des commandes d’émissions ou d’entreprises où il travaillait. Dès ses débuts, il réalise des films sur l’homosexualité, comme Gay ? (2000) ou Avant j’étais triste (2002). Plutôt que de militer dans la rue pour la cause homosexuelle, il préfère évoquer l’homosexualité d’un point de vue ironique n’hésitant pas à mettre en scène son image dans ses propres films. Il dira d’ail leurs que « le droit à la normalité n’est pas quelque chose qui me donne envie d’aller dans la rue ».

Qu’il réalise un faux coming-out public face caméra ou qu’il résume la vie d’un couple homosexuel par une animation en collages, ces films sont d’abord des commandes de programmes de vulgarisation de la culture homosexuelle, puis deviendront des films à part entière, indépendants. Sans le rechercher tout particulièrement, il a aidé des jeunes homosexuels dans leur découverte d’identité sexuelle. A travers ses films, Jean-Gabriel Périot nous assure qu’il ne dénonce jamais rien, mais qu’il formule seulement des questions. Chaque spectateur est libre de sa propre lecture du film. C’est comme s’il mettait les spectateurs devant un fait, pour les faire réfléchir.

Alors qu’il se met en scène par facilité dans les films sur l’homosexualité, il se livre à la caméra volontairement dans son film Journal Intime (2000). Ce film le montre, dans sa salle de bain, en train de prendre soin de son corps abîmé. Le public ressort en général gêné de ce film, gêné de la vision de ce corps jeune si dégradé. Le contexte de réalisation du film est particulier, puis que Périot sortait de l’hôpital, surement après un accident. L’aspect de son corps abîmé de façon provisoire lui inspire cette idée de « film truc », idée à laquelle il n’aurait jamais pensé si la situation avait duré. Gêné de l’évocation de ce film, Périot nous dira que « c’est un film truc, y a pas grand-chose d’autre que "j’ai un dentier, je l’enlève" dans l’acte de le faire, je savais que ça allait être un effet assez intéressant pour une petite chose ».

Présidentielles 2012. Périot reçoit une commande d’un site internet pour réaliser un court métrage sur la politique, en France. Hésitant, il se fait confirmer qu’il pourra s’exprimer librement sur les élections. C’est ainsi qu’il réalise le film provocant # 67, sur la démocratie française et ses limites. On ne peut alors que lui confirmer le statut de cinéaste politique dont il se revendique. Cinéaste politique, jugeant pourtant les élections très négativement : « dans le fond je pense que c’est de la merde ! ».

 

Le sens du temps

Le temps est-il linéaire ? Quel sens y a t-il derrière les images ? Dans les courts-métrages de Jean-Gabriel Périot, la temporalité donne sens, et le sens donne forme au temps. À travers les questionnements qu’il pose dans ses films, émane un désir de révolte qui ironise, traité avec un recul et une force violente la responsabilité humaine.

On peut emprunter le droit chemin, fil rouge d’une l’accumulation de photographies de routes, passages, couloirs dans Dies Irae (2005) – se laisser entraîner dans une contemplation redondante, inquiétante – jusqu’à une chambre à gaz d’Auschwitz.

On peut rebrousser chemin, dans Undo (2005) qui remonte le temps de la fin du monde au Big-Bang, ou dans Nijuman No Borei (200000 Fantômes) (2007) qui débute par la catastrophe à Hiroshima, et cumule une série de photographies-témoins d’un lieu hanté par l’absence. Chercher un sens au temps mène à l’indicible, aux mystères de l’« origine » et de la finalité - car les camps d’extermination et Hiroshima sont des centres sur lesquels on tourne, des images enfouies dans les mémoires ont fracturé la linéarité finaliste d’une vision progressiste, linéaire -.

Jean-Gabriel Périot inscrit les empreintes des chocs et la mélancolie des temps au travers d’images d’archives provenant de fonds, et d’internet. Il travaille sur l’accumulation de couches temporelles et spatiales, et interroge sans cesse une image à la fois arrachée à ses origines et contenant en elle-même son histoire et sa banalité. La vitesse de défilement des images photographiques ou des séquences filmiques rend l’image subliminale : insaisissable et provoquant un effet sur le psychisme. Les courts-métrages du cinéaste nous font vaciller entre l’oubli et l’effroi, et interroge la matière filmique (son négatif et son positif).

 

Images de révolte, images et révolte : le film-discours selon Périot

Le 21 avril 2002, Jean-Gabriel Périot est en train de fêter son anniversaire lors que le résultat du premier tour des élections présidentielles est communiqué : Le Pen va passer au deuxième tour. Le choc entre un moment heureux de la vie personnelle et un moment sombre dans l’histoire politique française, portent le réalisateur à se poser des questions telles que : comment on a pu arriver à ce point ? Comment j’ai pu, même indirectement, être responsable de ce résultat ? La réponse à cela est une installation, composée en particulier d’un film qui voit défiler des images fixes à une grande vitesse, intitulée 21.04.02. Pour le réalisateur, il s’agit de constituer une autobiographie visuelle, et pour faire cela, le réalisateur met sur le même niveau d’importance des tableaux de la Renaissance et des affiches publicitaires, des photos de famille et des images pornographiques. Etant ces images des produits d’une même société, on peut se demander si cette autobiographie visuelle peut être aussi celle de notre époque : les images montrées peuvent être considérés comme les éléments qui ont éduqué notre regard et qui ont contribué à construire notre pensée ?

En laissant très peu de place à la parole pour laisser les images s’exprimer, Périot semble adhérer à l’idée d’un « tournant iconique » élaborée par le théoricien Thomas Mitchell, qui remarque dans notre civilisation actuelle une prédominance de l’image sur le texte. A partir de cette idée, Périot travaille les images en élaborant une pensée visuelle plus efficace et compréhensible. Ainsi il construit des films-discours qui évoquent plusieurs problématiques.

Dans We are winning, don’t forget on est confronté à des images de personnes sur leur lieu de travail. Soudain surgit un plan noir, puis des images de manifestation. dans Les barbares le procédé est similaire : l'image de groupe, qui est un portrait de personnes dans une pose figée, s’« anime » au moment ou un individu est isolé au montage. Cela introduit un mouvement au sein de l'image fixe. En effet, le passage de la photographie de groupe à la photographie d’un individu isolé, non seulement introduit un mouvement dans le sens littéral du mot, mais aussi au sens figuré, c’est-à-dire un mouvement de révolte. Ce travail constitue aussi un questionnement sur le médium : en effet, peut-on parler de mouvement, quand on utilise des photographies, et donc des images fixes ?

Le choix des images dans ces deux œuvres cherche à déstabiliser le public : en effet l’emploi de séries d’images quotidiennes questionne le spectateur, puis que lui aussi pourrait se reconnaître dans ces photos de groupe : chacun est mis en cause.

 

Les projets de Périot à la prison d’Orléans

Les deux films traitant de la prison ont pour cadre la maison d'arrêt d’Orléans. Pour le premier, il s'agit d’une commande d’une association d'art contemporain en espace publique, appelée Mixar, qui l’a invité à faire quelque chose. D'abord dubitatif, ne sachant pas quoi faire, car en dehors de son domaine habituel, vis à vis de l'art contemporain en espace publique, il a très vite pensé à la maison d'arrêt d’Orléans. De là est née l'idée d'organiser un concert de détenus pour un public situé à l’extérieur de l'enceinte. Il a en plus demandé à deux chefs opérateurs de prendre des images en plans fixes des gens écoutants le concert, pendant qu’il était du coté des prisonniers diffusant le concert.

Périot se sent très en retrait vis à vis de ce travail. N’étant pas musicien, il a simplement dirigé et commandé les autres, contrairement au second projet à la maison d'arrêt.

Le second projet vient du SPIP, le Service Pénitentiaire d'Insertion Professionnel qui s'occupe de la culture, de la réinsertion, du rapport aux familles dans la prison. Il s'agit de plans fixes sur des détenus qui racontent leurs rêves simplement, en parlant ou en slamant voir même en chantant. A travers ce film, Jean Gabriel Périot a ressenti de l'utilité dans ce qu'il faisait, mettre en place ce projet, travailler les ateliers, avoir un rendu fini très réussi, bien que secondaire, à créer quelque chose, était utile pour les détenus comme pour lui.

Pour Périot, il s'agit à travers ces deux expériences de faire du cinéma un outil de rencontres.

 

Margot Farenc, Jessica Macor, Josselin Carey, Laure Weiss, Tiana Valencourt, Maxime Lambert, Taegy un Y un
Cinéastes par eux-mêmes - séminaire sous la direction de Nicole Brenez, 2012-2013